L’Indépendance

c’est le 06 juillet 1962 que ça a commencé…

par Kamel Daoud

Deux grands mouvements en trois siècles d’humanité: des gens blancs à qui la terre appartient en entier, débarquent sur des terres qui ne leur appartiennent pas encore, les prennent avec femmes, enfants, mulets, puits d’eau et indigènes. Ils expliquent la chose par le besoin de civiliser des gens qui, assis sur leurs terres, ne faisaient rien ou presque et qui regardaient naître et mourir leurs femmes, enfants, mulets et puits d’eau comme une fatalité. Le mouvement dure un moment puis se renverse: des gens bruns, noirs ou légèrement blancs à qui rien n’appartient, débarquent là où ils se trouvaient depuis toujours, reprennent ce qui leur appartient, terres, femmes, enfants, mulets et puits d’eau au nom du nationalisme. C’est le temps des décolonisations au nom des nationalismes: des gens trop longtemps libres se sont fait coloniser mais qui ont été si longtemps colonisés qu’ils se sont voulus indépendants.

 Qu’est-ce que l’Indépendance ? Un moment entre midi-deux heures pour beaucoup de peuples. Car après la guerre, c’est l’ennui. Que faire pour être libre ? Se battre. Mais que faire de sa liberté ? Peu ont répondu juste. Et juste après c’est le second mouvement. Des peuples bruns, noirs ou un peu blancs ne sachant comment construire leur pays choisissent d’aller où tout est déjà construit. C’est le temps de l’immigration vers l’ancien colon. A leur tour, les peuples blancs choisissent de ne plus civiliser mais de démocratiser, de coloniser sans se déplacer et de prendre la terre, les femmes, les mulets et les puits d’eau sans se déranger. Où se retrouve la guerre ? Loin de la terre: au ciel. Ils ont des satellites, les autres ont leur Dieu. Tout se passe en haut, tout se paye en bas.

 Que signifie le 05 juillet pour un Algérien qui ne croit pas que nous sommes tous nés un 05 juillet comme le dit l’hymne ? Un moment d’inattention dont il fallait profiter. Car pour l’Algérien, l’Indépendance ne signifie rien s’il n’en a pas pris un morceau, lui, son père, ou son grand-père. La terre ne signifie rien sauf sous la forme d’un lot de terrain. L’histoire ne signifie rien si elle n’a pas une fin heureuse pour chacun. Le sacrifice ne signifie rien s’il dure plus qu’il n’en faut. Pour l’Algérien, les colonisations ont duré tellement qu’à la fin la terre il ne veut pas la travailler mais d’abord la posséder et l’histoire ne se conclut pas par des récoltes mais par des butins. Le plus dur n’a pas été donc d’arriver au 05 juillet mais de donner sens à la date terrible de tous les 06 juillets fêtés depuis 45 ans.

 Pourtant la question doit être honnête: est-ce honnête de dire que l’Indépendance a été un échec ? Non. Le seul problème est que l’histoire de la Libération semble avoir été si magnifique que tout le monde s’attendait à une fin heureuse individuelle pour tous. Expliquer que tout le monde était désormais libre mais que tout le monde ne devait pas finir riche était impossible. Et encore impossible. D’où la déception. A la question «que signifie pour vous l’Indépendance ?», l’Algérien répond faux «elle ne signifie rien puisqu’on m’a rien donné». 62 se résume en termes de butin pas en sentiment de liberté. Le peuple le pense et attend. L’Etat le pense et le pratique.

 Le 05 juillet, on distribue encore des logements, des grades de généraux, des noms de quartiers, des primes, des chiffres et des discours. D’où le malentendu.

4 commentaires sur “L’Indépendance

Ajouter un commentaire

  1. beaucoup d’esprit, de l’ironie certes mais c’est la réalité; on ne peut feindre ignorer le réel. celui-ci est s’impose, se justifie dans les comportements des êtres concrets ou des objets inertes se meuvent en sujets singuliers qui entravent l’innovation mais ils ne répondent pas! les bureaux ne parlent pas sauf qu’ils innovent à l’infini…la bureaucratie un poulpe qui enserre avec avec ses tentacules de l’eau dont le Ph est neutre comme la populace citoyenne qui n’a pas compris encore son destin….

Laisser un commentaire

Créez un site ou un blog sur WordPress.com

Retour en haut ↑